L’avenir présumé de l’Europe, GRANDS PRINCIPES ET GROSSE CONFUSION, par François Leclerc

Billet invité.

La cause a été vite entendue par les dirigeants européens réunis hier soir à Bruxelles : le décor ayant été résolument planté et tous – sauf Matteo Renzi – ne voulant voir dans le résultat des élections que l’épouvantail de la montée de l’europhobie, il a été décidé de confier à Herman Van Rompuy, le président du Conseil européen, la tâche de rassembler les avis sur la meilleure manière de contrer celle-ci. La difficulté étant que se sont exprimés durant le dîner autant d’avis que de participants quand il s’est agi de l’avenir présumé de l’Europe. Proclamer que l’Europe doit changer est une chose, lui assigner des priorités claires en est une autre…

Faute de mieux, un médiateur a donc reçu le mandat de « conduire des consultations avec le Parlement européen et les différents groupes parlementaires, dès qu’ils seront constitués », sans naturellement oublier les dirigeants aux-mêmes. Mais le grand sujet reste la composition d’un paquet de nominations composé des futurs présidents de la Commission, du Parlement et du Conseil. On ne se refait pas ! Une liste de grands principes pourra toujours fournir l’habillage requis : croissance, compétitivité, emploi, lutte contre le changement climatique, union énergétique, sans oublier le combat contre l’immigration illégale qui, de l’enclave de Melilla aux côtes de l’Italie du Sud et au camp de Calais, fait la gloire de l’Europe toute entière.

C’est depuis Londres que Christine Lagarde, directrice générale du du FMI, profitait de la tenue d’une conférence bien pensante sur l’« inclusive capitalism » (le « capitalisme de l’acceptation », sic) pour lancer une attaque en règle contre le secteur financier, coupable selon elle d’une « opposition acharnée » aux réformes. Puis constatant, pour faire bonne mesure, que « le comportement du secteur financier n’a pas fondamentalement changé dans un certain nombre de ses aspects depuis la crise. Des changements ont lieu mais ne sont pas assez profonds et importants. Le secteur continue de valoriser le profit à court terme aux dépens de la prudence à long terme, les bonus d’aujourd’hui aux dépens de la relation future ».

En présence de Mark Carney, le président du Conseil de stabilité financière (FSB), Christine Lagarde a déploré que la question des établissements trop importants pour faire faillite – c’est à dire tous ceux qui ont une stature internationale – ne soit toujours pas réglée. Mais ces questions ne figurent même pas dans la liste des priorités d’Herman Van Rompuy. Selon ce dernier, cette liste comprend toutefois un meilleur fonctionnement de l’Union monétaire, sans plus de précision sur les améliorations à rechercher.

Van Rompuy a-t-il ainsi fait référence aux décevants travaux de la première édition du Forum annuel de la BCE organisée le week-end précédent à Sintra (Portugal), sur le mode de celle qui se tient tous les ans à Jackson Hole, aux États-Unis ? Les participants y furent suspendus pour rien aux lèvres de Mario Draghi, et le seul fait marquant fut l’intervention de Paul Krugman qui, en référence au Japon et face au danger de s’enfoncer progressivement dans la déflation, recommanda l’adoption d’une cible d’inflation élevée, manière contournée de suggérer le déclenchement de la planche à billets (ce qui n’est pas fulgurant). Pour l’instant, la BCE s’en tient à reconnaître qu’être coincé en dessous de la barre de 1% depuis maintenant sept mois, c’est se trouver dans ce qu’elle qualifie être « une zone de danger ». Dans son discours à Sintra, Mario Draghi a déclaré qu’il fallait être « particulièrement attentif au risque d’enracinement d’une spirale négative des prix en zone euro ».

A Bruxelles, Londres et Sintra, les discours sont partis dans tous les sens et n’apportent pas – tant s’en faut – la clarification requise. À croire que la confusion est enracinée elle aussi et ne se trouve pas du seul côté des europhobes. Qualifier ainsi le rejet de l’austérité en est par contre l’expression achevée. Digne continuation des visions qui ont successivement annoncé le retour de la croissance et l’inversion de la courbe du chômage.